La cyclologistique, un retour au futur...

En feuilletant un vieil album de famille, je suis tombée sur une photo qui m’a immédiatement frappée. Un homme assis sur son triporteur, dans une rue peu fréquentée du centre-ville de Strasbourg. Une silhouette familière, avec une posture à la fois fière et naturelle.

Cet homme, c’est mon grand-père.

Patissier, il parcourait la ville à vélo, livrant ses clients au coeur de Strasbourg. À l’époque, pas de start-up de livraison instantanée, pas d’application mobile pour suivre en temps réel son colis… Juste un vélo robuste, des bras solides et une organisation bien rodée.

Son triporteur, c’était son outil de travail, son camion de livraison de l'époque pour un service client "sur mesure" et sans couture.
Il connaissait ses clients, leurs habitudes, leurs petites préférences. Il discutait avec les passants, échangeait des nouvelles, partageait un café sur un pas de porte avant de reprendre la route. Il livrait ses gâteaux et ses patisseries dans un caisson qui les maintenait bien au frais.

Au final, mon grand-père était patissier ET cyclologisticien avant l'heure...

Et aujourd’hui ?

On réinvente exactement ce modèle avec des outils contemporains !

Pendant longtemps, le vélo a été perçu comme un moyen de transport du passé, bon pour les nostalgiques ou les amateurs de balades du dimanche. Pourtant, en ville, le vélo-cargo et ses "cousins" (triporteurs, biporteurs, remorques...) s’imposent aujourd’hui comme une solution moderne et pertinente pour transporter des marchandises jusqu'au client final en réduisant les "externalités négatives".

Tout simplement parce qu’il coche toutes les cases :

• Rapide : en centre-ville, un vélo cargo va 2 x plus vite qu'un véhicule utilitaire léger VUL coincé dans les embouteillages,
• Flexible : il peut accéder aux zones contraintes, soumises à des réglementations (zones piétonnes, zones à trafic limité ZTL...), contourner les bouchons, se faufiler là où les autres s’arrêtent
• Écologique : avec un impact carbone et un impact sonore proche de zéro,
• Économique : il est moins cher à l’achat, à l’entretien et à l’utilisation qu’un véhicule motorisé avec des coûts réduits en carburant, contraventions et assurances,
• Efficace au service du client : les temps de trajet maitrisés assurent un meilleur respect des délais de livraison
• Image de marque positive : la livraison à vélo est bien perçue et renforce ainsi l'image que l'on peut avoir d'une entreprise et de son engagement

La filière de la cyclologistique s'est par ailleurs fortement structurée en France ces dernières années avec :

• en 2015, avec la création de l'association Les Boîtes à Vélo pour promouvoir l'entrepreneuriat à vélo en France et l’usage du vélo comme mode de déplacement professionnel principal,
• le 9 Novembre 2022, avec la création de la Fédération de la Cyclologistique,
• le programme Cyclo-cargologie qui vise à accélérer et augmenter le recours à la cyclologistique par les chargeurs et transporteurs partout où elle est pertinente à travers l'accompagnement et la formation.

Pas du tout, c'est bien un retour au futur...

Les villes changent.Les espaces sont plus contraints, les réglementations environnementales se durcissent, les attentes des citoyens évoluent.

• Peut-on encore imaginer un centre-ville saturé de camions diesel ?
• Doit-on continuer à subir des nuisances sonores et une pollution évitable ?
• Pourquoi ne pas privilégier des solutions adaptées à la ville d’aujourd’hui et de demain ?

De nombreuses entreprises et collectivités ont déjà amorcé cette transition :

• Des grandes enseignes testent des hubs urbains dédiés aux livraisons à vélo
• Des municipalités développent des infrastructures adaptées (voies cyclables sécurisées, espaces de stationnement pour vélos cargo)
• Des entrepreneurs se lancent dans la cyclologistique pour proposer une alternative aux livraisons traditionnelles.
  
  Mais au delà de cela, la cyclologistique est aussi une communauté active avec des valeurs fortes où l'humain est au centre...

La cyclologistique, ou l’art de livrer en ville à vélo, n’est pas une simple tendance. C’est aussi un retour au futur en remettant l’humain, le local et le collectif au centre d’un métier que la technologie et l’uberisation avaient tendance à standardiser.

La semaine dernière, à Paris, se tenait le lancement du livre « Cargonautes : une aventure cyclologistique – la coopérative contre la start-up nation » écrit par Martin Malzieu, co-fondateur. Une occasion unique de plonger au cœur de cet écosystème avec celles et ceux qui réinventent la livraison à vélo et montrent qu’une autre logistique est possible : plus humaine, plus locale, plus durable.

Fondée en 2015, Cargonautes est une SCOP (Société Coopérative et Participative) qui incarne une autre façon d’entreprendre dans la logistique urbaine. À rebours de la start-up nation et de la course à la croissance, la coopérative revendique un modèle où les livreurs, techniciens et encadrants sont aussi les associés et les décideurs. Le modèle de la SCOP, avec sa gouvernance partagée parfois exigeante, n’est pas le plus simple à faire vivre, mais c’est sans doute celui qui incarne le plus fidèlement les valeurs de coopération, de confiance et de sens.

Chaque salarié peut devenir sociétaire, participer aux grandes orientations et partager équitablement les bénéfices. Cette gouvernance partagée, fondée sur la confiance, la transparence et la pédagogie, n’efface pas les difficultés du métier – conditions physiques exigeantes, marges faibles, complexité opérationnelle –, mais elle redonne du sens et du pouvoir d’agir à ceux qui font tourner la roue.

Avec 40 salariés, le chiffre d'affaires se développe grâce à la livraison mais aussi des activités complémentaires (fabrication de caisses, vente de vélos, formation, vente de logiciel...). Cargonautes et d'autres acteurs de la cyclologistique (Coopérative Corbo à Bayonne, Narvelos dans l'Est parisien...), montrent qu’il est possible de construire une entreprise résiliente, ancrée dans son territoire et fidèle à ses valeurs : coopérer plutôt que concurrencer, partager plutôt qu’exploiter.

Lors du lancement du livre dans les locaux de Cargonautes à Cap 18 Paris, d'autres structures étaient présentes et ont pris la parole lors de la table-ronde organisée pour l'évènement :

• Agilenville, présent dans plusieurs villes françaises comme à Lyon,
• ou encore Corbo une scop présente dans le Pays Basque.

Tous ont soulignés l'engagement local, la volonté de faciliter les circuits-courts, l'égalité des genres dans ce secteur d'activité dans lequel les femmes ont toute leur place mais sont encore peu représentées...

Le message est clair :
le vélo n’est pas seulement un mode de transport, c’est un levier pour repenser la ville, la logistique et nos relations au travail. Une aventure collective où coopérer devient agir ensemble.

Parce que la cyclologistique nous rappelle que l’innovation ne se limite pas à la technologie. Elle passe par :

• Le retour aux territoires et aux circuits courts,

• Le respect de l’humain et de ses conditions de travail,

• La coopération plutôt que la compétition

Chaque colis, chaque panier de légumes livré à vélo est un acte de résilience urbaine et sociale.

La cyclologistique n’est pas qu’un métier, n'est pas qu'un simple maillon logistique, c’est un manifeste, une révolution douce qui redessine la ville et redonne le pouvoir à ceux qui la font vivre et qui montre qu'un autre futur est possible...

Les Boites à vélo
Cargonautes

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